les jeunes gens
Les jeunes gens ont la peau douce et les meilleures phrases en réserve, alignées comme les balles dans le chargeur d'un revolver. Ils accompagnent leurs mots de sourires, d'éclats de pureté qui vibrent sur leurs dents comme des taches de lait. Dans leurs yeux il ne faut pas gratter. Juste se reposer. Je le fais parfois, K-o de tant de privilèges, quand je me trouve à leur table. Etant donné qu'ils me permettent là de ne plus parler, d'écouter et de ronronner; en moi glissant les paroles des chansons populaires que j'aime et qui disent dans le tempo que la vie est belle, même si elle s'en va au bout du quai. Les superpositions se font d'elles-mêmes; dans certaines attitudes je revois des fractions entières de cette belle joie d'avoir devant soi la vie presque entière. Une tête qui se balance en arrière dans un éclat de rire et quelques secondes plus tard, ces moues et ces regards complices. Les jeunes gens calculent rien et tout à la fois; la couleur d'un tee-shirt, le rouge à lèvres qui ne dépasse pas, une manière de dire à bientôt sans s'engager, des poses une main sur une hanche, les ongles dans la barbe ou le filtre d'une cigarette entre un auriculaire et un annulaire. Les jeunes gens me manquent quand je ne les vois pas et me disent à l'oreille parfois qu'ils m'aiment en se débrouillant pour que je ne puisse pas l'entendre.