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Christophe Massé Informations
18 octobre 2007

Eclairage sur les Instants de Patrick Rabiller par lui-même

zap_001 Une photographie de Patrick Rabiller posée sur mon bureau

Reçu hier cette lettre de Patrick Rabiller, suite à mon petit article du 3 juillet 2007 sur ce blog au sujet de la photographie ci-dessus. Un éclairage supplémentaire et même indispensable sur ce "moment" particulier.. quand le photographe immortalise son sujet.

Petit proverbe à mon usage exclusif :
“Il peut en être des réponses comme des vendanges
tardives...”
Cher Christophe.
Au retour de l’atelier de notre ami Isidore K. et des
Zartistiques Bacchanales dont tu as la responsabilité
éclairée, tu te doutes bien que je me suis empressé de
visiter la richesse de ton blog. Effectivement, quelle
ne fut pas ma surprise de découvrir, en date du 3
juillet, un long texte concernant ma petite
entreprise. Bien que je puisse parfaitement expliciter
mon inattention temporaire aux choses du monde, je
n’en suis pas moins navré, désolé, confus d’avoir pu
te faire douter de mon indéfectible respect.
Rassure-toi, le Grand-Zap veille à ce que tu sois, a
priori toujours sous le numéro 34, absolument et sans
conteste jusqu’à ce jour, et sans aucune obligation
non plus d’ailleurs, de cette entité photographique
évanescente que tu nommes, fort à propos,
‘Instants...’
J’aime assez la perception que tu as de cet aspect
‘visible’ de mon ‘Opera Tranquillo’... (et aussi
quand, par exemple, tu suggères l’homme discret... par
contre, pour ce qui est de la tenue de chasseur et
toute l’imagerie qui va avec, il faudrait que nous en
reparlions...).
Donc le Grand-Zap veille, il apprécie d’autant plus
que tu es le premier ‘clubiste’ (?) a publiquement
évoquer le concept même de cette petite entreprise
faite d’instants archivés. Peu de mes invités, me
semble-t-il, ne l’ont explorée comme tu l’as fait. Se
sont-ils même simplement interrogés? Une chose est
sûre, c’est qu’ils aiment bien la recevoir, cette
petite Zap annuelle. Certains, sans l’avouer,
l’attendent. Tous vont certainement la regarder, la
soupeser, l’analyser, l’apprécier ou non, la faire
circuler, en causer, la poser, l’utiliser, la montrer,
l’exposer, la ranger, l’égarer, l’oublier pour finir
par devoir se dire qu’un jour il leur faudra
absolument la retrouver... (Sauf, bien sûr, chez ceux
qui savent archiver).
L’idée de cette multitude d’images disséminées des
instants de ma vue, ça et là, chez les uns, chez les
autres, dans l’épaisseur d’une petite collection
imaginaire, rangées ou éparses, dispersées, répandues,
semées ou égaillées au sein même de l’intimité,
encadrées, punaisées ou même fixées par un support
magnétique et publicitaire à la gloire d’un fromage à
pâte molle, à la vue de tous, sur la porte d’un frigo,
cette idée de l’éparpillement me plaît bien...
Le Grand-Zap apprécie également la façon que tu as,
dans ton intitulé, d’évoquer l’instant, et de le
multiplier par l’emploi du pluriel. Peut être est-ce
la somme de cette vingtaine d’images qui constituent
la Zap-Galerie qui te fait l’utiliser? Auquel cas oui,
il y a bien évidemment cet instant que révèle la
photographie et dont l’émanation (n’en as-tu pas
profité?), un peu comme l’idée d’un parfum, voire même
de la fameuse “part des anges”, durera tant que durera
son support et aussi tant qu’on voudra bien, de temps
en temps, y jeter un œil dessus.
Mon but est que chaque image ne laisse pas insensible.

Tu n’es pas sans savoir qu’en amont de tout ce que
peut être l’histoire d’une photographie, il y a
‘l’instant du photographe’. Un peu comme il y a, me
semble-t-il en peinture, le ‘lieu du peintre’, cet
espace d’un bras ou deux, juste devant le tableau, là
où précisément, il fait les gestes de son art. Dans
l’instantané d’une photographie, bien que ce ne soit
pas à proprement parler le même registre artistique,
il y a, concentrée à l’extrême, la même potentialité
d’une telle conviction gestuelle. Le premier avantage
particulier d’un photographe, et c’est tout con de
l’écrire, est d’aimer faire une photographie, aimer
vivre l’instant dans le sens de l’implication totale
de tout son être, s’y investir jusqu’à devenir
invisible à lui même...
Du premier instant où la chose est vue jusqu’à
l’ultime, celui unique et fatal de la prise de vue, le
photographe s’extrait du vaste monde alentours pour ne
se donner qu’au sien, non moins vaste d’ailleurs. Tout
se passe en interne, dans la solitude bienveillante de
son intimité, face à son choix, en l’occurrence ce
corps de femme aux formes étrangement rondes que son
œil (le droit chez moi) voit, fixe, enregistre,
cadre... La technique que commande la lumière requiert
une certaine manipulation... Il faut encore affiner...
(mais qu’est-ce que la perfection?), distance,
ouverture, profondeur de champ... Tout se passe dans
le silence, aussi assourdissant soit-il, de son ‘moi’
dans son corps. Faire au mieux cette putain de mise au
point de la machine... L’index de ma main droite
n’attendant que mon ordre pour saisir cette pépite,
cet instant d’une vie...
Je suis donc à ramper dans le sable, aussi nu que
cette fille dont j’ai repéré la sensuelle silhouette,
vers les dunes, en haut de la plage. J’ai le sentiment
d’être le voyeur que ne doit pas être le photographe.
Il semble même que je veuille en jouir. Le sable est
chaud sous mon ventre. Je me fous d’être vu dans cette
approche reptilienne... “Cette courbe ahurissante”
dis-tu? Elle est ma proie. Je vais la prendre. Car il
y a du désir. Celui, de cette fille à travers
l’objectif. Celui d’une photographie. Celui de la
posséder. De pouvoir décrypter ces pleins et ces
déliés d’une écriture paradoxale qui m’attire...
L’instant du photographe est un instant de tout son
corps. Plus rien n’existe que ce corps, la puissance
du prêt à bondir de l’animal et cette image cadrée
dans le viseur qu’enregistre et filtre ma
quincaillerie neuronale. Il faut se décider. Tu as
raison, il y a urgence. Mais qui décide? La peur? Peut
être, oui, mais pas celle d’être vu, non. Celle plutôt
de voir l’édifice s’effondrer. La peur que l’étrange
image que me donne à voir ce corps si troublant ne
finissent dramatiquement, il suffirait d’un seul
geste, l’équilibre est si précaire, par ne plus être
cette promesse de volupté...
Cette fille sur la plage est un mirage... Saisissons
le pour la postérité.
C’est alors le temps calculé en millième de seconde de
la jouissive angoisse du voyeur au moment du
‘graphe’...
Dois-je te dire le bruit définitif, tranchant, coupant
net de l’obturateur... Cette impression fugace d’être
le voyeur vu par l’humanité toute entière... Et puis
aussi cette idée que le spectacle est terminé.... Non,
la fille n’a pas bougé. Elles est toujours là. Elle ne
sait pas. Ne saura jamais... Une seule photographie me
suffira dorénavant.
À nouveau et d’un coup, je perçois le bruit des
vagues. J’entends des cris d’enfants... quelques
mouettes, aussi, probablement, dans le ciel fuyant...
Tout va bien. La terre se remet à tourner. Je suis
bien malgré quelques aiguilles de pin qui me griffent
les cuisses...
Voilà comment, cher Christophe, sur la plage de
Soulac, un après-midi de septembre 1979, j’ai ‘bossé’
durant une éternité, 1/250ième de seconde de mon
temps, pour ma petite entreprise. Je savais déjà à ce
moment précis avoir fait un bon boulot qui, peut être,
(te) plairait un jour....
Merci à toi de toute ton attention.
Bien Amicalement.
Patrick.

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