Mayotte: Mon nom est Personne mais je suis Babylone
A Mayotte se trouve une personne, un artiste qui écrit sur les murs de Mamoudzou au charbon de bois. D'une belle écriture nette et plastique, sans presque jamais de rature, ni d'incertitude. Juste certains mots barrés d'un trait comme volontairement écrit pour être biffés ensuite. Un soir, nous sommes descendus de la colline, nous dirigeant vers la clameur qui s'échappait du stade dans lequel se produisait Joey Starr, et nous sommes restés ensuite à l'extérieur de l'enceinte, en compagnie des centaines de jeunes gens qui n'avaient pas les 5 euros pour entrer voir la vedette. Les bras croisés, appuyés à un véhicule, Michel m'a parlé de ce gars qui passait ses nuits à décorer les façades des maisons, et que l'on appelait Babylone. Tu sais ce n'est pas si facile, ça ne tient qu'à un fil... entonnait Joey et sa bande, en demandant aux types qui portaient des casquettes de les balancer à la poubelle... ce qui m'a fait inconsciemment visser la mienne encore plus profondément sur ma tête.. Sortez vos portables, vos briquets je veux voir de la lumière.. hurlait Joey. Ici comme partout.. beaucoup de gens ne possèdent pas grand chose... mais au niveau du téléphone portable.. tout le monde est servi.. on peut bien à ce stade de contamination inutile, évoquer une des plus belles escroquerie/invention du siècle... et moi, me remémorer le temps ou une pièce de monnaie permettait à chaque coin de rue d'appeler qui l'on voulait.. Les jours suivants, j'ai commencé à rechercher les graphismes sauvages, ciblés un peu partout dans la ville, mais en particulier sur les quelques bâtiments officiels. Inscriptions parfois nettoyées, comme l'on peut le faire avec une éponge sans y arriver complètement; proposant alors une autre perception involontaire, un flou régulier comme un passage d'essuie-glace sur les gouttes de pollen collées au pare-brise. Au fur et à mesure du temps qui passe, le noir intense du charbon devenant gris, puis plus pâle encore, sans jamais disparaître totalement. Un travail vraiment particulier, entre celui d'un Basquiat et d'un Twombly, et un des seuls aperçu sur cette île. Une espèce de révolte, l'élégance de la page d'écriture, le contraste violent de la poudre noire et des badigeons colorés. Un parti pris, une position. Dans une île soumise à la loi, au rythme de la survie, aux aller-retours, à vendre et acheter ce que l'on peut trouver.. comme partout.. Un travail de cet envergure fait figure, il ressemble au type perché sur une chaise au coin d'une rue qui raconte sa vie. Il est, ce qui pourrait être dans cette 'île la seule osmose avec l'idée de liberté. Le machin qui ne sert à rien. Le temps perdu et l'errance, les "trucs", les "tics" d'artistes qui au final conduisent votre démarche à se faire estampiller à la farfouille de l'art et avec un peu de persévérance inscrire cette originalité à l'enseigne du grand marché de l'Art reconnaissant ou vous condamner, selon les rythmes de notre inhumanité, au bagne de Mayotte..
Monsieur Babylone ! Si jamais vous lisez ces lignes un jour... écrivez moi j'ai quelque chose à vous montrer.