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Christophe Massé Informations
9 mars 2010

Anne Dubois-Kremer libère les taureaux au Garage Moderne (Bordeaux)

s_rie_les_torros_format_160x200__12_ vue de l'atelier et peinture récente de Anne Dubois-Kremer dr 2010

Dans le noir de Mars, un ragoût de puissance

 

" L'artiste n'a de responsabilité envers personne. Son rôle social est asocial. Sa seule responsabilité réside dans sa position face au travail qu'il accomplit. "
Georg Baselitz.

 

Loin de l’idée malheureuse d’observer parfois des artistes contemporains se sécuriser en flirtant avec le folklore et les traditions populaires, Anne Dubois-Kremer dans ces œuvres récentes se risque encore dans une courageuse posture du  contre-pied. Qu’elle affectionne d’être où on ne la guette pas est une évidence, qu’elle puisse en faire un motif de déroute en est une autre. Son combat avec elle et les forces de la peinture vient de prendre quelques impressionnantes proportions. Loin de penser qu’il faille en avoir pour se retrouver face au taureau ; puisque c’est de lui dont il s’agit, imaginer un seul instant prétendre affronter la bête en peinture peut glacer notre sang, le figer en cette masse sombre qui coagule sur les plaies béantes que l’on inflige d’ordinaire à la puissante nature qui nous effraie, pour la convertir proche de notre usage.

 

Et bander ou trouver le remède à l’impuissance pour être plus exhaustif.

 

Anne Dubois-Kremer bande l’arc ; ses flèches restent sans effet, elles ne sont pas décochées et vont interroger l’animal sans picorer dans sa mythologie, ni le blesser. En femme hors du commun, sa démonstration est face au noir et ses encres que nous avions l’habitude de fouiller pour percer le mystère qui nous ramènerait justement à une figure connue, nous abandonnant la plupart du temps à des supputations personnelles ou d’autres plus classiques, comme des pensées d’archivistes ; là, un sexe turgescent et bouillant qui aurait pu être, aussi bien, un nuage de mars poussé par les vents d’ouest, ressemblant tour à tour à la belle cavalcade d’une armée en déroute, comme à une jeune fille posée sur une balançoire dans un champ d’azur immaculé ; ici dans les profondeurs des couches superposées, autant de fruits du plaisir et du secret défense ou autres appendices à goûter, sans justement faire la part belle à cette représentation parfois vulgaire qui n’interprète que du bout des organes sensoriels et sans réactivité la mauvaise part d’une historiette de l’art local du grand sud de la France ; aujourd’hui nous transportent dans le vif du sujet : qui sommes-nous ?

 

Peindre le taureau. En dehors de l’idée de l’arène est un challenge. Je me sens personnellement trop bœuf et trop porc pour m’y risquer un jour. Peindre le taureau demande totalement de n’en faire abstraction qu’au dernier moment. Ce serait ignorer pourquoi est-il encore aujourd’hui en activité alors que des dizaines d’espèces disparaissent chaque année.

 

Anne est partie travailler dans l’espace. Elle a filé une forme précise, un animal de combat perdu d’avance, préfabriqué, qui ne sert, même si nous lui dévorons les rognons et la queue, qu’au spectacle des yeux de la bête humaine.  

Ce prétexte de peinture au départ me parut inutile, réducteur, à la mode, à la sauce forcée ; comme l’utilisation abusive que l’on fait d’un piment, d’une couleur, d’un matériel qui finit par faire du don de soi une puante salade. Impossible à transgresser. Ensuite, plus tard, lentement, en regardant de prés les images que j’avais sous les yeux et le format réduit que m’en propose l’ordinateur je me suis encore une fois dit que la peinture pouvait toujours me surprendre, m’apaiser, me réjouir et m’émerveiller. Que les vrais artistes ont suffisamment de clairvoyance dans leur naufrage pour savoir quoi faire de la queue d’un animal dont on voudrait s’obstiner à ne s’occuper uniquement pour lui limer les cornes.

Dans l’œil et la fougue de ce pinceau naturel et sa position ou sa disparition dans l’espace, Anne a dompté, contourné, et terrassé cette crainte de ne pas pouvoir crâner de la plus facile des façons.

Anne est un bout de femme. Même si la question ne se pose pas là. Pourtant. Ce serait encore une fois dérisoire de penser que ce sont les êtres fragiles qui s’attaquent aux forces de la nature. Là, dans l’œil de la bête entourée de toutes les attentions du titane, c’est le noir de mars qui s’empourpre parfois d’un ocre et brun ou d’un rouge basque selon la lumière, pour plier dans les rétines du soir l’attente de mâle au loin, occupé à fermer sa tempête. Il n’y aura pas d’issue encore une fois. Pas de mort dans l’après-midi juste se perdre dans le silence des grands moments de tendinite pour retrouver la fougue du tête à tête, du seul à seul, ou du râle de l’amour dans son énergie offerte. La peinture qui propose toutes les alternatives est la véritable rage de vivre. Comme si le vrai peintre, cet animal lui aussi condamné à l’avance, pouvait donner seul les lettres de noblesse à la bête, en l’enfermant non pas au mur des bodegas qui jonchent les arènes du petit commerce vulgaire, mais sur les cimaises de ceux qui trouvent en l’Art un chemin pour la liberté.

Pau, le 01 mars 2010 Christophe Massé  


Anne Dubois-Kremer expose ses œuvres récentes au Garage Moderne


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Commentaires
H
Le combat du minotaure avec Thésée est également détaillé par Apollodore :<br /> Thésée affrontant le minotaure, d'après une sculpture de Jean-Étienne Ramey, marbre, 1826, exposée au jardin des Tuileries, à Paris.<br /> Tous les neuf ans (ou chaque année selon Virgile), sept jeunes gens et sept jeunes filles étaient envoyés en sacrifice en Crète, en expiation du meurtre d'Androgée, fils de Minos, par Égée, roi d'Athènes. Une année, Thésée, le propre fils d'Égée, fut tiré au sort ou embarqua de son plein gré parmi les jeunes gens destinés au sacrifice. En arrivant en Crète, Thésée rencontra Ariane, la fille de Minos, qui tomba amoureuse de lui. Sachant ce qui l'attendait, elle lui donna une bobine de fil afin qu'il la déroule dans le labyrinthe et puisse retrouver son chemin. Thésée trouva le Minotaure, le tua et retrouva son chemin dans le labyrinthe grâce à la bobine déroulée.
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