Anne Dubois-Kremer libère les taureaux au Garage Moderne (Bordeaux)
vue de l'atelier et peinture récente de Anne Dubois-Kremer dr 2010
Dans le noir de Mars, un ragoût de puissance
" L'artiste n'a de responsabilité envers personne. Son rôle
social est asocial. Sa seule responsabilité réside dans sa position face au
travail qu'il accomplit. "
Georg Baselitz.
Loin de l’idée malheureuse d’observer parfois des
artistes contemporains se sécuriser en flirtant avec le folklore et les traditions populaires, Anne Dubois-Kremer
dans ces œuvres récentes se risque encore dans une courageuse posture du contre-pied. Qu’elle affectionne d’être où on ne la guette pas est une évidence,
qu’elle puisse en faire un motif de déroute en est une autre. Son combat avec elle
et les forces de la peinture vient de prendre quelques impressionnantes proportions.
Loin de penser qu’il faille en avoir pour se retrouver face au
taureau ; puisque c’est de lui dont il s’agit, imaginer un seul instant
prétendre affronter la bête en peinture peut glacer notre sang, le figer en
cette masse sombre qui coagule sur les plaies béantes que l’on inflige
d’ordinaire à la puissante nature qui nous effraie, pour la convertir proche de
notre usage.
Et
bander ou trouver le remède à l’impuissance pour être plus exhaustif.
Anne Dubois-Kremer bande l’arc ; ses flèches
restent sans effet, elles ne sont pas décochées et vont interroger l’animal
sans picorer dans sa mythologie, ni le blesser. En femme hors du commun, sa
démonstration est face au noir et ses encres que nous avions l’habitude de
fouiller pour percer le mystère qui nous ramènerait justement à une figure
connue, nous abandonnant la plupart du temps à des supputations personnelles ou
d’autres plus classiques, comme des pensées d’archivistes ; là, un sexe turgescent
et bouillant qui aurait pu être, aussi bien, un nuage de mars poussé par les
vents d’ouest, ressemblant tour à tour à la belle cavalcade d’une armée en déroute, comme à une jeune fille posée
sur une balançoire dans un champ d’azur immaculé ; ici dans les
profondeurs des couches superposées, autant de fruits du plaisir et du secret
défense ou autres appendices à goûter, sans justement faire la part belle à
cette représentation parfois vulgaire qui n’interprète que du bout des organes
sensoriels et sans réactivité la mauvaise part d’une historiette de
l’art local du grand sud de la France ; aujourd’hui nous transportent dans
le vif du sujet : qui sommes-nous ?
Peindre le taureau. En dehors de l’idée de l’arène est
un challenge. Je me sens personnellement trop bœuf et trop porc pour m’y
risquer un jour. Peindre le taureau demande totalement de n’en faire
abstraction qu’au dernier moment. Ce serait ignorer pourquoi est-il encore
aujourd’hui en activité alors que des dizaines d’espèces disparaissent chaque
année.
Anne est partie travailler dans l’espace. Elle a filé une
forme précise, un animal de combat perdu d’avance, préfabriqué, qui ne sert,
même si nous lui dévorons les rognons et la queue, qu’au spectacle des yeux de
la bête humaine.
Ce prétexte de peinture au départ me parut inutile, réducteur,
à la mode, à la sauce forcée ; comme l’utilisation abusive que l’on fait d’un
piment, d’une couleur, d’un matériel qui finit par faire du don de soi une
puante salade. Impossible à transgresser. Ensuite, plus tard, lentement, en
regardant de prés les images que j’avais sous les yeux et le format réduit que
m’en propose l’ordinateur je me suis encore une fois dit que la peinture
pouvait toujours me surprendre, m’apaiser, me réjouir et m’émerveiller. Que les
vrais artistes ont suffisamment de clairvoyance dans leur naufrage pour savoir quoi
faire de la queue d’un animal dont on voudrait s’obstiner à ne s’occuper uniquement
pour lui limer les cornes.
Dans l’œil et la fougue de ce pinceau naturel et sa
position ou sa disparition dans l’espace, Anne a dompté, contourné, et terrassé
cette crainte de ne pas pouvoir crâner de la plus facile des façons.
Anne est un bout de femme. Même si la question ne se
pose pas là. Pourtant. Ce serait encore
une fois dérisoire de penser que ce sont les êtres fragiles qui s’attaquent aux
forces de la nature. Là, dans l’œil de la bête entourée de toutes les
attentions du titane, c’est le noir de mars qui s’empourpre parfois d’un ocre
et brun ou d’un rouge basque selon la lumière, pour plier dans les rétines du
soir l’attente de mâle au loin, occupé à fermer sa tempête. Il n’y aura pas
d’issue encore une fois. Pas de mort dans l’après-midi juste se perdre dans le
silence des grands moments de tendinite pour retrouver la fougue du tête à tête,
du seul à seul, ou du râle de l’amour dans son énergie offerte. La peinture qui
propose toutes les alternatives est la véritable rage de vivre. Comme si le vrai
peintre, cet animal lui aussi condamné à l’avance, pouvait donner seul les
lettres de noblesse à la bête, en l’enfermant non pas au mur des bodegas qui
jonchent les arènes du petit commerce vulgaire, mais sur les cimaises de ceux
qui trouvent en l’Art un chemin pour la liberté.
Pau, le 01 mars 2010 Christophe Massé
Anne Dubois-Kremer expose ses œuvres récentes au Garage Moderne