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Christophe Massé Informations
8 juillet 2012

Thomas Mestrallet: Mise en garde après Guerre

 

2011_0609ploipoi0044 Thomas Mestrallet Sous La Tente (dr am 2012)

 

Thomas Mestrallet : Mise en garde après Guerre

«  Tu te retournes et il n’y a plus personne, pourtant tu distingues encore leurs visages. Mais est-ce bien des visages ? » Tony Cabrefigue

 La mémoire des hommes, tant éprouvée, se fragilise pour ne livrer d’elle qu’une faïence ébréchée. Comme d’une tasse ayant servi à recevoir les lèvres d’un dictateur, il ne transparaîtra rien « de la vie » de cette terre cuite, aujourd’hui blanche, immaculée et conservée dans un reliquaire. Seule la vague interprétation d’un certain geste, que l’homme aura pu esquisser avant de porter la bordure du récipient à sa bouche sera manifeste dans les esprits de nos contemporains, - des archives cinématographiques ressassées, des photographies emblématiques : homme au cigare, sourire la tête renversée en arrière, doigt pointé vers l’ailleurs…  Ici, ni la fragrance du café, ni la chaleur ; encore moins les pensées de la personne ne viendront nous persuader de la véracité des instants liés à cet objet usuel. Il demeurera en suspension dans l’air ; pour les uns : l’atroce idée qu’un sale type a bu dans ce récipient ; et pour d’autres : un espoir de convoitise, et encore, des considérations esthétiques ou d’éternels questionnements liés aux origines de l’objet en question.

La mémoire s’entretient, elle devient courte comme pour préméditer les oublis. Elle s’épaissit et se lacère. Elle craquelle, nous la perdons, l’égarons, et pire, nous la transformons parce que nous déformons parfois son sens et foulons le terreau qui la compose comme un vulgaire terrain de rencontres insatisfaisantes et de souvenirs imparfaits. Demeurera des lambeaux en elle : des bouts de lieux, des ensembles de faits ; les éléments d’un puzzle qui parviendront rassemblés, à créer une idée et nous rapprocher de la vérité, celle tant espérée et qui n’existe pas. Pourtant à la vue des horreurs des siècles accumulés, bon nombre de récits de ces atroces histoires qui ont composé l’Histoire et que nous archivons, et deviendront à eux seuls porteurs de la vérité universelle que tout le monde espère réelle et indestructible et qui existe peut-être vraiment sans que nous puissions jamais nous en emparer dans sa globalité, ressurgiront pour alimenter sans cesse le flou et le précis. Tout en se fragilisant au fil du temps et des banalisations successives, finissant par avoir raison de l’opiniâtreté d’une majorité des infatigables enquêteurs, la vérité des souvenirs sera traquée, remontée des fins des abîmes, des abysses, des trous sans fond ou des buées, des tiroirs, des enregistrements, et des lumières.

Le devoir de mémoire d’utilité publique se trouve alors dans ce malstrom, ce fatras, cette surenchère, ce pressoir, cette malle ; assez souvent relégué dans les rayons extraordinaires des faits divers.   

Que pouvons nous savoir vraiment. Un fait a lieu, une histoire va naître, des interprétations vont suivre, toute une kyrielle de preuves et de contre preuves, une médiatisation excessive puis parfois plus rien, une décennie ou plus. Des brûlots rallumés au gré des besoins et des circonstances de la vie sur l’échiquier politique. Des témoignages se superposeront à des documents, des témoignages viendront recouper d’autres témoignages, la confusion et la succession d’affaires seront les premières à décourager les esprits curieux susceptibles d’emmagasiner dans leur for intérieur des pans entier de nos existences. Notre propre histoire sera racontée d’une autre façon, par d’autres personnes, à notre insu. Alors que penser de l’universelle histoire résumée parfois à une image sur un livre d’écolier. Vercingétorix à genoux, le crâne de JF Kennedy qui éclate dans le flou d’une pellicule arrêtée sur l’image, les Ceausescu allongés côte à côte, des dizaines d’affaires criminelles abandonnées, des scandales politico financiers, des histoires de mœurs troubles et sordides, des génocides lointains, guerres et conflits éteints puis ré embrasés. L’apocalypse, la lune, les prédictions, les signes évidents, les échecs, les trucages, les montages, les séries, les leurres, les avertissements, l’oubli, les maladies, les origines, les mélanges.

Aussi au moment ou apparaît avec l’art, à la rescousse et sans prévenir, toute une série de travaux contemporains mettant en abîme, sous tension, entre guillemets, sous les feux, dans la lumière des éclairages néonesques, des « histoires » qui n’ont rien de prime abord à voir avec les arts plastiques, nous pouvons nous émerveiller et jubiler de la tournure qu’ils prennent dans ces cavernes, où ils sont parfois exposés à peu de vue, et nous réjouir de trouver que dans ces lieux destinés aux manipulations des matières et matériaux, ces bunkers de la pensée créatrice, l’on puisse saisir, et interpréter, penser l’Histoire avec une autre paire d’yeux et d’oreilles jusqu’à sentir en nous une autre vie, plus palpable, plus réelle, plus intéressante et sans doute plus véritable.

En s’emparant de toutes les images qui construisent sur une période donnée le coffrage de son effort de mémoire, Thomas Mestrallet apporte actuellement et sans doute va-t-il continuer à le faire au fil du temps, non pas des réponses aux questions que nous oserions ici poser, mais une série d’interrogations à la place ; elles, liées dans un espace approprié, investi, qui aurait l’originalité d’une pièce de son théâtre et pouvant accepter et supporter un processus créatif, un sentiment unique en même temps qu’autorisé à se situer dans une phase intense de compréhension de l’état des choses et des lieux.

Ressentir plus que demander.

En grattant et avant de trouver l’antidote, il infecte un terrain d’investigations et propose ensuite radicalement d’y transférer quelques éléments de son répertoire (assainissement et positionnement). Il est dans cet effort, accompagné de toute une panoplie d’éléments qui ont tous attrait avec le sujet, mais rien à voir, tant en ce qui concerne l’efficacité du traitement que plus tard du rendu sur l’opaque des visions. Je ne vais formuler que cela de tout ceci volontairement et continuer dans cet effort de tranche napolitaine ou de hamburger de mots à définir ce/son rapport à l’histoire et ses modifications ; lui apportant clairement le sentiment que nous sommes un jour précisément passés par là.

Du clairement poétique.  

J’ai en tête ce sentier qu’utilisent les riverains de la gare prés de chez moi, pour rejoindre le quai, sans faire de détour. Il faut pour cela qu’ils gravissent un petit terre-plein. En partant de la rue en contrebas, afin de se retrouver sur le quai, le long de la voie. De passage en passage, une étroite bande de terre s’est dessinée, puis matérialisée entre les herbes folles du talus. Emprunté, et emprunté chaque jour par des anonymes, ce petit chemin s’entretenait tout seul. Jusqu’au jour ou repéré par des employés de la voirie et sans doute par des agents de la SNCF, il fut décidé de sa condamnation. Une clôture métallique est venue occulter le passage. Quelques jours plus tard, une personne sans doute gênée dans ses habitudes décida de rouvrir le chemin en pliant l’extrémité de la grille. Puis la plupart des habitués reprirent ce sentier en se faufilant dans l’intervalle. A ce stade de l’observation, une personne étrangère à ce fonctionnement qui passera par là pourra avoir une opinion en observant la grille pliée, alors que les habitués savent/pensent que cette solution est une solution. D’autres penseront encore qu’un petit escalier aurait dû trouver place dans cet espace ou encore d’autres doivent dire qu’un mur aurait réglé cette situation. Nous pénétrons sur des pistes de travail et d’exploration en interprétant des possibles. L’idée de camp s’installe aussi, pour, contre, bénéficiaire, lésé. Dans quelques années, et selon la tournure des évènements liée à ce micro particule de terrain, nous aurons d’autres versions et une toute autre approche se configurera. De ce qu’il y avait ici et de ce qui a bien pu conduire à de tels changements. A moins que personne n’en parle plus jamais. Il est probable que les gens concernés se soient exprimés et d’autres voix tues.

Un monde a fait le travail qu’il pense et personne pour le moment ne va venir trouver une solution définitive. Le temps de l’action a passé. Celui du rapport aussi. Il reste le possible à explorer et dans la volonté des hommes de faire dans un sens comme dans l’autre et d’expliquer à leur façon pour leur bien être ou leur intelligence pour le bon sens ou la bêtise, pour le droit et son contournement, des tas de pistes à vérifier, vers la nudité et quelque part le point premier ou ultime de l’espérance comme de son contraire. Dans le chaos ou à l’horizon. Proche ou non. Clair ou obscur. Peut-être est-ce vraiment comme cela, et dans son entier, que j’ai appréhendé le monde des origines du nouvel art ; en observant une journée entière l’œuvre de Thomas Mestrallet présentée Sous La Tente à Bordeaux. Un travail pour une solution ; ni globale, ni finale, ni terminale, ni réductive, ni hermétique. Un champ de la curiosité dans lequel s’empilent, s’entassent les maux, les terreurs et le cocasse de toutes les situations sans fin.  

Christophe Massé, Bordeaux 20 juin/08juillet 2012

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Commentaires
H
Quelques décennies avant la destruction totale de la vie sur les bas cotés des rails, on assistera à une envolée quasiment épique des manifestations les plus incroyables de l’absurdité. Celui qui prétendait avec force être le représentant universel de l’intelligence supérieure, convaincu d’incarner la sécurité et l’expression la plus aboutie du sublime et de la perfection de la norme, aussi sûr de lui-même que de son bon droit, celui-là – l’homme occidental – perdit en toute ignorance de cause ce qu’il est communément admis de nommer la raison et l'économie des pas.
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