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Christophe Massé Informations
12 mai 2015

Löetitia Léo expose Sous La Tente Bordeaux

Löetitia Léo : Suspension du cri dans les replis d’un territoire.

« … Les choses les plus belles au fond restent toujours en suspension… » Christophe in « Le Tourne-Cœur »

… au premier jour de mon arrivée dans la ville, à Löetitia pour sa route.

 

Parcelles. Où ai-je bien pu dérober cette image et dans le souvenir pourquoi est-elle demeurée coincée ? Elle s’est inscrite dans une zone du cerveau qui stocke les informations pour une durée indéterminée, et qui projette de façon aléatoire ces souvenirs à la surface de l’iris. C’est presque une carte postale, une image à l’italienne, un papier légèrement cartonné qui s’envole, que je poursuis, et sur lequel je tente en vain de mettre un pied. Ce dernier relevé indique qu’il n’a rien stoppé dans sa course, que j’étais un bon centimètre à côté de l’objet convoité quand ma semelle frappa le sol. Et me voici encore à le poursuivre alors qu’il virevolte et m’échappe dans les plis brûlants d’un souffle de printemps.

Je crie : « C’est l’adresse ! Attrapez-la ! ». Oui ! Il y a inscrit dessus quelques mots griffonnés que mon intuition a rendus d’une importance capitale.

Je tente encore de m’en saisir et plus loin je vois une rivière se rapprocher. Le fleuve ? L’océan ? C’est en me jetant à même le sol dans un ultime baroud d’honneur que j’accroche enfin le sésame, entre deux doigts tétanisés, et maintenant saignant de l’arcade sourcilière meurtrie jusqu’à l’os, je récupère ma conscience.  

C’est ici, peut-être que tout a commencé.

Dans la bibliothèque, celle de Jorge Luis Borges. Un clin d’œil, l’image poussée devant moi sur le plateau d’une immense table en cèdre massif qui dégage curieusement une odeur complexe ; un mélange d’eucalyptus et de résine, de camphre et de houblon. C’est ici aussi, je le sais, je l’ai senti, juste après avoir abandonné subitement sur le lit du motel à Eysines mon poulet avec mon couteau planté dans son flanc, et qu’à travers les maisons saisies jadis par la Gestapo je me suis frayé ce chemin, en même temps que se dessinait une idée de la ville dans laquelle j’allai irrémédiablement vivre.

Je sais aussi que je suis tombé.

Durant ma quête inconsciente, j’ai buté, succombé à cette vision d’une hélice, traversée par les phénomènes d’une synchronicité des plus troublants, d’où ressurgirent ces histoires d’avions qui traversent les cieux au-dessus de celles et de ceux qui ne s’en vont jamais. Je sais aussi encore que j’ai abouti à l’angle du cours du Médoc et du quai des Chartrons à Bordeaux. Là une main sur la tête, j’étais dans l’image, tant je m’étais persuadé que seul un obstacle infranchissable délimiterait le périmètre dans lequel j’irai chercher ensuite un appartement à louer et j’ai observé la courbe là, superposée à d’autres moments de ma vie.

Avec en tête une chanson de Carlos Gardel que je fredonnais - dans les vieilles parties des bas-fonds de Buenos-aires qui m’échappent – avant que le papier quitte brusquement ma main et s’envole dans une bourrasque de vent d’ouest. La traite, le port de la lune, les arbres frêles, plus un paysage avec ma fillette courant dans sa bulle ? – que fait-elle ici ? Elle qui n’est pas née encore -, le temps des souvenirs aplatis sur les vérités que l’on ne dit à personne ou que personne ne mérite jamais d’entendre, encore moins de savoir.

Je sais d’une première image.Combien pouvons nous en extraire d’autres, de ce magma ? En seconde, vingt cinq, cinq fois vingt cinq et se projeter un petit film minuscule. Toi, l’art photographique, les lieux désaffectés, les non-dits, l’oubli, la crainte.

Petite poupée enrubannée dans le safran des cols putrides ; homme sans tête et torse prégnant vers la mite dans le papier, lépidoptère endormi, dans la senteur des oblongues parties de rien, sur la devanture des lucarnes insectes, votre pièce, et ce temps de la lucarne fenêtre, bateau, hublot, là où avec un sourire qui devient rire, j’aperçois le Pont de pierre, puis le lointain ; les fumées en chaperons sur les anciennes gares, les anciennes usines, anciens moulins, les anciens docks, les anciens chais, les ex campagnes.

Ensevelissement. Löetitia Léo tourne les pages de ses carnets/photos comme on dit dans un recoin pardon d’avoir voulu faire tout ceci un jour et permettez moi d’attendre encore de disparaître pour revenir.

Deux années passèrent.

Round d’observation. Elle présente tout d’abord ce regard apeuré et sa douceur vous accapare tout de suite. Elle a de ces oiseaux blessés, l’interrogateur sourire qui porte vers l’horizon pour un battement d’ailes de plus et la netteté de ses points de vue confirme en suspens le silence qu’elle autorise avant une de vos réactions. Elle craint les commentaires comme les détonations avant le feu d’artifice. Il faut puiser, laisser descendre la corde dans le puits au bout duquel le seau brinqueballe avant de toucher le miroir d’eau. Photographier c’est aussi se perdre dans des lieux où l’on s’empoisonne quitte à mourir presque deux fois. C’est une atteinte aux lois de l’oisiveté. C’est prendre sans reculer et adopter la position du guetteur, du chasseur, de l’observateur qui ramasse du furtif, des plantes dans le vent, des arcs en ciel les jours de pluie, de complaisantes architectures, des vestiges, des situations.

Löetitia est hors paysage, hors quelque chose, qu’elle ramène à elle en tirant de toutes ses forces comme on remonte du fond, des filets. L’affectif est un chien trouvé pendu dans une forêt lors d’une période de long week-end ; quand les riches se promènent encore et les pauvres cherchent pitances & rêves dans les poubelles des villes atonales. Une bête caressée plus tard.

Juxtapositions. Nous sommes là dans l’épuisement d’un lieu. Et le hasard ou la contrainte du hasard. Son indicible pouvoir et le jeu qui sert d’alibi au faire. Certain(e)s ne s’en sortent pas.

Elle ? Oui. Assez étrangement.

Aussi l’émergence de paysages nouveaux qui relient la préhistoire de la couleur à la texture des bistres, en passant par des sujets aux antipodes, et dans le traitement qu’il leur est réservé, comme cette alchimique métamorphose de la grue en arbre et des nuages en lacs, et aussi dans la texture plate et mièvre qui dans un univers pastelliste accompagne l’interrogation vers le consensus. Je vais dire ; une option esthétique qui ne rassure pas. Pour des intrigants paysages citadins aux alvéoles que l’on découvre dans les ruches et les lieux où l’on est pas forcément invité.

Superpositions. Nous sommes encore un peu plus dans la surprise. Le jeu. Et dans ce temps qui se déroule nous pouvons nous suspendre ainsi. Si un esprit rigoureux peut se doter d’un temps au milieu du chaos, le suspendre, et laisser aller la machine des rêves, il y a tout a parier que de la souffrance jaillira le son mat d’un bonheur fugace et essentiel. Si nous pouvons l’imbriquer dans le montage qui donne à la chance toute sa quintessence, il ouvrira alors grandes les portes à un énorme gâchis ; nous allons être sauvés ni par le gong, ni par la nuit mais par l’expression de l’art à un endroit précis. La combinaison d’un dedans et la force du faire.

Mais oui ! Justement il converge là et pas ailleurs, une ribambelle d’acceptations que le hasard octroie aux êtres germinatifs comme lui seul est capable d’en produire de pareilles. Il nous lance à la face sa puissance inéluctable et de son pouvoir inégalable, pour que nous nous rendions à l’évidence, toutes les démonstrations de son mystère éclosent. Certaines choses qui se font toutes seules sont plus intéressantes qu’un temps passé dans le subterfuge pour l’effet escompté ou pire ! Employer les moyens qu’il faut pour que le faire semblant égale le faire tout court.

Délimitations. Nous nous trouvons aussi dans un autre temps. Dans l’alcôve. Sa puissante part de labeur. Je croise durant tout ce temps des artistes par dizaines. Celles et ceux qui confectionnent, apprivoisent, plaident, enregistrent, affectionnent et bouleversent le temps.

Löetitia Léo délimite. Elle doit à un moment donné tenir sa tête dans ses mains, et assise sur un fauteuil fabriqué avec un pneu d’avion choisir réellement ce qui va se passer pendant sa future séance de travail. Les limites se créent sans paraître et dans le doute se déroule le plan des rigueurs fondamentales.

Recadrages. Des types, des poupées, des lieux. Des poils, des algues, du lichen, des ciels. Un type, une enfant, un espace. Pilosité de la mer et langues nuageuses sur les esprits varechs. Gris-gris, noir, ailleurs des « choses » à voir dont on ne dit rien. Peut-être simplement tant c’est impossible.

Où ai-je bien pu dérober cette immense image qui est là aujourd’hui collée sur le mur de la cuisine ? Peut-être là ! Quand un doigt pointé sur le néant, vous m’avez convoqué vers le champ de foire là où nous étions si biens. L’art, nous, et l’art. Il y a des siècles dans la suspension du cri dans les plis et replis du territoire.

Christophe Massé, Bordeaux 08 mai 2015.

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Christophe Massé

présente

Löetitia Léo

 Mercredi 27 mai 2015

 11h/21h

Entrée Libre

Sous La Tente 28 rue Bouquière 33000 Bordeaux (France)

 

 

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