Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Christophe Massé Informations
6 novembre 2019

James Ellroy par Christophe Massé

AVT_James-Ellroy_7051

Ce que je vais manquer est déjà dans mes tripes par Christophe Massé (8 novembre 2019)

Au tout début j'ai contourné le genre. Ici dans mon quartier de la Gare, le (LPPD) Perpignan Police Department était une des réalités de mon adolescence, pas trop besoin de lire du roman noir ou du polar pour bobos. L'activité n'avait rien de comparable à celle des grandes métropoles d'Amérique ou d'Asie mais il y régnait néanmoins un petit climat de flics et voyous, de gentils et méchants pas piqué des hannetons. Trafic permanent, le tout sous l'oeil bienveillant des mafieux en place à tous les étages de la gouvernance municipale. Les premiers livres noirs tenus dans mes pognes ont tous filé au panier et même si mon respect par la suite pour Manchette, Daeninckx et quelques autres a enflé j'ai sacrifié mes yeux à la littérature d'un autre temps et d'une autre galaxie, celle que certains nomment la Grande et qui pour moi est l'indispensable; l'imaginaire, la bouleversante. Perpignan était le théâtre au quotidien de nombreuses scènes de violence, le livre ne pouvait pas servir à une redondante documentation. Lire c'était apprendre autre chose.
Pourtant un jour, je me souviens bien lequel, un 22 juin exactement, j'ai rencontré un type qui aurait pu avoir le blaze de Gigue, un de mes compagnons des punkitudes. ce gars savait entrer dans les baraques, se faufiler dans les chambres, dormir dans les lits étrangers, sniffer et avaler tous les cachets qui trainaient sur le haut des étagères devant les miroirs de salle bains pour terminer quelques flacons d'éther ou de 3/6. C'était un rat avec des yeux humides et de gros pores chargés de gras et de vers, une truffe lui servait de nez pour tremper dans de larges verres ou le Manhattan évolue en seigneur, poursuivi par l'olive à la cuillère et l'angustura du Perthus. Ce type était un formidable narrateur, il puait entre ses lignes toute la méchanceté, l'ignominie d'un monde d'humains bons qu'à se haïr et éteindre les flammes de la beauté, du bonheur et de la jouissance pour rallumer d'autres brasiers d'horreurs et d'injustices. Mais ce type, un héros sans bras ni jambes, au sexe épouvantable trimballait avec lui la réalité cruelle d'une véritable existence. Était-il allé aussi loin que certains de ses personnages, qui ressurgissaient de leur passé ? Je ne sais pas. Je suis tombé amoureux de l'homme, de sa ville, de son style, de son rapport à l'histoire, amoureux transis pour tout lire x fois, comme si dans chaque livre, j'avais pour moi-même la certitude de déchiffrer et d'exorciser cette part d'ombre et élucider le mystère de l'abandon qui hante ma plus trop jeune mémoire. Quelque temps plus tard j'eus la certitude en Maurice G Dantec de voir surgir sur ma terre ce qui pouvait là aussi m'aider a creuser sous l'humus, y voir poindre les racines du mal. Mais il était trop fort, l'Amerloque, trop puissant, "trop trop" on dirait, là, si nous étions encore sur notre banc de la rue de Cerdagne, à attendre de prendre un coup de serpillère trempée dans les dents, venue du petit renseignement général au-bec-de-lièvre qui jaillissait de la voiture banalisée, à trois du mat, dans l'hiver perpignanais, pour nous ravir nos clopes au passage. "Trop trop" ce grand monsieur chétif prisonnier de sa chemise hawaïenne et de son galurin de cadi. Je l'ai lu, de fond en comble et glissé entre mes livres chers toute son oeuvre.
Hélène des Ligneris m'a proposé de le rencontrer, mon anglais pour ne pas dire mon américain l'aurait certainement séduit hi!hi! mais je suis déjà ailleurs le vendredi 15, un hold-up m'attend dans les Pyrénées-Orientales, relever les compteurs et ramener un peu de Rasiguères. Par contre La Machine à Lire, en si belle exclusivité, doublée de cette persévérance qui sied à sa responsable, va accueillir certainement le plus grand écrivain américain vivant, pour une soirée qui risque de demeurer dans les annales de BordeauxMaVille d'adoption. Je vous demande de vous lever. James Ellroy est dans la place.

photographie: christophe massé autoportrait avec James (dr at/cm 2019)

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité