Chantier blues explosion
Serrer la main du copain. Prendre un café bien sucré, relever ses manches et enfiler une paire de gants. Sortir quelques outils d'un hangar adjacent. Porter des poutres, soulever des sacs, traîner des blocs de béton, enfoncer des planches et en faire un tas. Fracasser de vieilles dalles à l'aide d'une masse. Piocher, mettre à jour des morceaux de poterie, de faïence, des os, des tuiles, des briques, des morceaux de fer. Ratisser, ramasser la terre, pousser une brouette, la vider, la remplir, des dizaines de fois. Avancer. Boire une bière glaçée. Lentement commencer à suer et se recouvrir d'une pellicule de poussière puis de suie et de terre mêlées qui passe sous les ongles et s'insinue sous les paupières, dans les narines. Cracher. Avancer. Enfiler des lunettes pour exploser du carrelage. Charrier sur la surface les gravats, étaler, reconstituer une aire, niveler, remodeler, réajuster, suivre comme point de repère ces petites barres de métal fichées dans le sol qui donnent la hauteur à ne pas dépasser. Observer le copain les peindre en rouge au pinceau.
J'aime le chantier. Je crois que j'aurai pu en faire une vie si j'avais eu le courage de n'être pas artiste. Il y a là un tempo qui m'anime, comme une rencontre dure. Une sensation de mesure dans un temps ordinaire, morcelée par des arrêts et des reprises qui procurent des sensations qui ne sont pas toujours de la fatigue, ni un regard de lassitude porté ailleurs. Pas de joie non plus, un plaisir sourd dans les muscles et la mesure d'un temps qui soudain parait lointain dans cette folie à brasser des matériaux, remuer des poids, compter des allers-retours et voir se faire l'oeuvre tout court. De la tâche comme une rémunération fixée avec sa propre mort et son endurance.