Edvige est plusieurs fois centenaire non ?
A Perpignan, en 1982 paraissait le premier numéro de mon graphzine/fanzine photocopié. Tiré pour l'occasion en cent exemplaires, chacun d'un format A4, plié et découpé afin qu'il forme un petit book de la grandeur d'une boîte d'allumettes. Les images envoyées par des artistes composaient presque exclusivement ce premier numéro. Un petit texte de remerciement, le titre et le nom de l'opus constituaient la brève partie écrite. Le travail d'assemblage était pour moi fastidieux, je fabriquais les exemplaires au compte goutte, les offrant au fur et à mesure aux participants, à des ami(e)s, à ma famille. Pas plus de dix exemplaires se trouvaient dispersés dans la "nature" quand ma mère vint me trouver pour me dire qu'un commissaire avait téléphoné chez elle et j'étais cordialement invité à me rendre à l'hôtel de police. Ce que je fis. Un agent m'accompagna au sous-sol dans une grande pièce presque vide, éclairée au néon. Là, un homme m'attendait. Il me demanda des explications sur le fanzine, pendant qu'il projetait sur un écran, à ma grande stupéfaction, les images de ma petite production. Les questions concernaient le texte qu'il trouvait plus ou moins sibyllin, les noms des participants et des destinataires, mes projets futurs etc.. L'entretien dura un assez long moment et je fus relâché.. Je dis relâché.. c'est l'impression qu'il me resta de ce moment de confinement. Empreint d'un mélange de fierté, comme si j'étais arrivé à troubler l'ordre public sans vraiment le vouloir, mêlé à une certaine inquiétude aussi de constater que la liberté d'expression avait un cadre aussi étroit. Il me fallu de longs mois pour me rendre compte et admettre que nous étions bien surveillés. Dans le milieu (artistique), de petits indicateurs de police se trouvaient infiltrés. Dix exemplaires du fanzine avaient circulé et déjà l'un d'entre eux se trouvait aux mains des forces de l'ordre. L'on pouvait se féliciter; d'un côté de voir la promptitude avec laquelle, une semaine à peine sa sortie de la photocopieuse du monoprix, le dangereux petit fanzine se trouvait sous les verrous et sous contrôle. De l'autre; se féliciter pour la sécurité du pays (hi!hi!) comme se lamenter de l'entretien de ce triste lien par un individu qui se faisait et se fait toujours passer pour un artiste. Aujourd'hui les meilleurs indicateurs sont sans doute le téléphone mobile, internet, la carte bancaire et tout le tralala. Nous nous fichons tout seul. Nous renseignons le renseignement, nous permettons à l'état en nous inscrivant quotidiennement de nous contrôler et Edvige est un pas de plus dans cette troukalambouterie. La liberté ne gagne pas grand-chose dans cette affaire. Mais nous ne sommes sans doute pas à un fichier prêt. La véritable subversion est entretenue ou brisée nette. Edvige est une vieille dame, un vieux concept pour faire jaser et détourner l'attention. Son petit-fils est déjà dans nos veines. Il renseigne et élimine au fur et à mesure sans aucune médiatisation.