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Christophe Massé Informations
31 janvier 2011

Maryline Desbiolles: Les Draps du Peintre

2006_0704vego0020 l'atelier d'un peintre (cm dr 2010)

Peut-être ce livre parle à ceux et celles qui approchèrent le peintre, à ceux et celles qui gravitèrent de prés ou de loin dans la zone d'attraction d'un courant artistique français, né dans les années 1970 nommé Supports/Surfaces. Peut être cet ouvrage évoque t-il plus intimement la question du destin.. celui de l'artiste. La question de ses choix, comme celle de ses actes et s'adresse donc au plus grand nombre. Je dois me trouver dans les deux catégories. Une raison supplémentaire sans doute de m'être passionné à sa lecture, tout en éprouvant une insondable tristesse. J'ai été bercé enfant puis adolescent par la présence dans mon entourage familial, de certains des membres du groupe (André Valensi, Claude Viallat) et du travail de la plupart d'entre-eux, que j'ai supporté dans plusieurs des sens du terme. En pénétrant l'ouvrage de Maryline Desbiolles, j'ai évacué aussi mon petit regard sur cette époque, pour m'intéresser à cette prose ramassée, magnifique, qui fait de ce "portrait" d'artiste... parmi tant d'autres... possibles.. une œuvre littéraire authentique comme une peinture parfois pathétique d'un milieu..

 

Sans lui donner une place, dans l'histoire de l'Art français des dernières décennies du XX siècle, l'auteur dessine un portrait saisissant qui fait de l'artiste en général, un personne singulière et un être à part. Proposant dans ce cheminement une réflexion sur la différence, que seule la vieillesse, la maladie et la mort permettent de ramener à l'humanité entière.

 

Comprendre, accepter, refuser les lois d'un système qui canonise les uns, contribue à l'abandon des autres, sont les enjeux pour certains de toute une vie. Le choix d'une personne dont l'influence n'est pas déterminante dans l'histoire de l'art est à plus d'un titre judicieux; ce livre traite des étapes de la vie d'un individu sans jamais le nommer (ouvrier, passionné d'art, membre fondateur d'un courant artistique). Parvenu. Déchéance, maladie, entêtement. L'art n'est-t-il pas au fond dans la possibilité qu'il offre de résister une manière d'inscrire sa différence en s'exprimant pour et vers autre chose ? Aller trop loin dans l'acceptation empêche parfois de manœuvrer avec toute cette marge d'insolence permise. Toutes ces actions détournées par la force des choses vers des entreprises conformes qui conduisent les artistes a se plier aux mêmes codes que ceux qu'ils dénoncèrent un jour lors de la genèse et du pourquoi ils tentèrent d'en chambouler les règles avant d'en accepter d'être des acteurs soumis, devient au fil des pages une entêtante question. Le beau texte de Maryline Desbiolles conduit effectivement à pénétrer, comme avait su le faire pour le souvenir d'enfance dans Millet à la houppe, Millet à la loupe Catherine Millet, au cœur et dans la profondeur, dans le lit même, du corps, de son odeur et de sa désespérance pour en épousseter un à un les draps familiers. Ceux qui servirent longtemps de support aux créations comme aux impertinences. Entrer dans l'univers intime et complexe tout en observant à distance un artiste peintre ayant acquit une reconnaissance brève comme subite, aussi improbable que destructrice.. Je me suis retrouvé dans sa fatalité, d'emblée comme dans les récits dans lesquels l'odeur de la mort est présente dés le début; ces thrillers laissés à notre intuition qui nous prouvent que nous avons raison et nous poussent à endosser le rôle de l'enquêteur, rechercher avec lui sur son itinéraire, "la vérité". En épargnant personne, sans égratigner non plus, Maryline Desbiolles a écrit un livre passionnant, cruel et triste. Un portrait à la Française (Oui les limites de l'art à la française ! comme dans un jardin aux horizons tracés) Qui peut s'intéresser à pareil destin ? Les destins sont ceux qu'ils sont. Cet homme aurait sans doute était victime de la même maladie, dont il souffrait et qui venait de loin, s'il avait était autre personne qu'un artiste. Il n'en demeure pas moins qu'une longue fin, errance au froid, dans les longues bâtisses désaffectées d'une campagne française, va contribuer à précipiter son destin tragique. Lui qui se joua des institutions, collectionneurs, ami(e)s, confrères, après en avoir accepté longtemps les codes et pour les raisons que le mal sans doute lui même ignore. Nous relèverons avec la pudeur de l'auteur, combien sont à juste titre sans doute absents et impuissants les ami(e)s quand le vent tourne et la plus forte raison lorsque la mort rôde. L'approche témoigne aussi de la présence de la poésie qui transporte quelques fois et transcende. Nous aurions peine à croire dans ses descriptions d'une solitude glaciale, à l'aube des dernières heures de la vie, que le peintre vivait à la fin du siècle dernier si Maryline Desbiolles n'avait pas dans cet hommage merveilleux à l'homme, au temps de la peinture, rendu comme une espérance et signifié que les artistes au-delà de leur disparition sont toujours des sujets, qu'une littérature fait ressurgir là où ailleurs il ne reste rien..

Maryline Desbiolles Les Draps du Peintre Seuil 2008

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Commentaires
K
Superbe commentaire;<br /> A lèche A découvrire;<br /> See you<br /> KrApO
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H
L’oeuvre que l’on transmet est la meilleure façon de lutter contre la disparition du geste humain qui, pour moi, est vraiment au fond le seul principe qui m’intéresse.<br /> <br /> Hédo thrace
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